3 œuvres de SF pour mieux comprendre les enjeux de la Conférence de l’ONU sur les océans
Quelle place les récits de science-fiction actuels accordent-ils à la protection de l’océan, et en quoi sont-ils révélateurs de nos attentes sur le sujet ? À l’aube de la troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3) qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin, on a listé trois romans qui donnent de la perspective aux thématiques qui y seront abordées.

La Troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3) se tiendra à Nice du 9 au 13 juin prochains, et sera co-présidée par la France et le Costa Rica. Entre volonté d’exploitation et désir de préservation, sa première priorité sera de « rehausser le niveau d’ambition pour la protection de l’océan ». Quelle place les récits de science-fiction actuels accordent-ils à ce thème et en quoi sont-ils révélateurs de nos attentes sur le sujet ? Éléments de réponses avec trois textes à (re)lire et trois approches pour mesurer l’importance de la tâche qui attend les États membres et les représentants de la société civile.
1/ La haute mer avec La Vieille Anglaise et le continent, de Jeanne-A Debats
Lorsque parait La Vieille Anglaise et le continent en mai 2008, les grands cétacés sont l’emblème de la protection des océans. Paul Watson, alors sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par le Costa Rica – qui ne sera retiré qu’en 2019 –, s’apprête à diffuser l’émission Whale Wars, série documentaire présentant les actions de son ONG Sea Sheperds contre la chasse baleinière commerciale. Jeanne-A Debats raconte ici l’histoire du Dr. Ann Kelvin, une scientifique activiste spécialisée dans la biologie marine et qui s’apprête à subir une transmnèse, c’est-à-dire le transfert de son esprit dans le corps d’un cachalot fraîchement échoué. Son but sera de mener à bien une action aussi illégale que spectaculaire et qui devrait mettre un terme définitif au commerce de la viande de baleine…
C’est peut-être notre incapacité à comprendre le vivant qui nous empêche de le préserver
Le récit provoque habilement l’empathie animale du lecteur qui découvre la pression des abysses, la caresse des courants et le goût de l’océan par l’entremise de Physeter macrocephalus. Le domaine de la haute mer y est présenté comme un espace de non-droit où la pêche illégale côtoie le crime mafieux. L’autrice pointe du doigt l’inaction de la Commission Baleinière Internationale, son incapacité à empêcher le Japon, la Norvège ou l’Islande de refuser ou contourner le moratoire de 1986 sur la chasse commerciale. Une postface désabusée explique qu’il est « inutile de nous énerver maintenant : même si nous arrêtons la chasse, la pollution et les filets pélagiques achèveront le travail ».
De fait, il faudra attendre 2017 pour qu’une déclaration intitulée « L’océan, notre avenir : appel à l’action » soit adoptée à l’issue de UNOC1 et mentionne une « volonté résolue de conserver et d’exploiter de manière durable les océans […] ». Alors que le Japon et l’Islande intensifient leurs prélèvements, la Conférence de Nice – qui prend place au cœur du sanctuaire Pelagos – aura fort à faire en ce domaine.
2/ La connaissance scientifique avec Autobiographie d’un poulpe, de Vinciane Despret
Vinciane Despret, psychologue et philosophe des sciences, s’intéresse à la cognition animale dans une nouvelle intitulée Autobiographie d’un poulpe (Actes Sud, 2021) où Sarah Buono, une chercheuse en thérolinguistique – science fictive du langage des animaux – tente de déchiffrer un texte trouvé dans la baie de Cassis et qui semble avoir été écrit par un poulpe !
Étayant son récit par de très nombreuses références littéraires, philosophiques et scientifiques – comme le saisissant rêve d’une pieuvre documenté en 2019 – liées à l’éthologie (science du comportement animal), Vinviane Despret imagine une civilisation céphalopode qui croit en la métempsychose, et la mystérieuse autobiographie permet au lecteur de ressentir le désespoir eschatologique du poulpe confronté à la destruction de son habitat et à la raréfaction de ses ressources vitales.
Ce que suggère avec beaucoup de poésie cette très belle histoire, c’est que c’est peut-être notre incapacité à comprendre le vivant qui nous empêche de le préserver. L’année de sa publication, Pierre Dubreuil, directeur de l’Office Français de la Biodiversité martelait à ce sujet « on protège mieux, si l’on connait mieux » et un an plus tard UNOC2 choisissait d’accorder plus de place à la connaissance scientifique. La Conférence de juin prochain en fait également l’une de ses priorités, mais ses protagonistes seront-ils à même de produire des avancées significatives pour la connaissance des océans au moment où les États-Unis font de la science leur ennemie ?
3/ L’économie bleue avec Poisson poison, de Ned Beauman
Avec Poisson Poison (Albin Michel, 2022) Ned Beauman s’attaque avec un cynisme consommé aux dérives de l’économie verte et des crédits carbone. Satire caustique mettant en scène une industrie de l’extinction tentant de spéculer sur la valeur des crédits d’extinction pour le plus grand bénéfice des entreprises d’extraction minière sous-marine, ce roman exacerbe les récentes interrogations liées aux accords controversés de la COP29 réglementant les marchés de l’économie des crédits carbone.
Souhaitons nous protéger les océans par souci écologique ou bien sommes-nous avant tout portés par notre désir de pouvoir continuer à déguster de délicieux sushis ?
Les deux personnages principaux, une scientifique et un cadre de l’industrie minière aux motivations discutables, luttent ici pour la préservation du lompe venimeux. Avec un humour très anglais, Ned Beauman se sert de leurs travers pour pousser le lecteur à faire son propre examen de conscience : souhaitons nous protéger les océans par souci écologique ou bien sommes-nous avant tout portés par notre désir de pouvoir continuer à déguster de délicieux sushis ? L’auteur suggère clairement que la portée de nos actions pourrait en être fortement modifiée. Évoquant le déclin actuel de la biodiversité, Aurélien Barrau expliquait ainsi récemment « on pense la façon de faire, presque jamais le sens de ce qui est fait ».
Or c’est à cela que nous convie Poisson Poison : à (re)penser le sens de ce qui doit être fait pour, à l’instar de la « Priorité 2 » de la Conférence de Nice, « soutenir le développement d’une économie bleue durable ». Si – là encore – cette thématique ne semble pas au cœur des préoccupations actuelles des États-Unis, ce livre pourrait être une belle source d’inspiration pour les 192 autres États membres, qui s’apprêtent à décider (ou pas) d’un avenir meilleur pour nos océans.