« Freedom city » : la Silicon Valley pousse Donald Trump à construire une ville techno-futuriste au Groenland

« Freedom city » : la Silicon Valley pousse Donald Trump à construire une ville techno-futuriste au Groenland
Extrait du clip de Guarantee des Black Eyed Peas, réalisé par une IA (album Elevation, 2023) © 2022 BEP Music, LLC, under exclusive license to Epic Records, a division of Sony Music Entertainment

Les entrepreneurs de la Silicon Valley ne rêvent que d’une chose : bâtir une ville privée, sans réglementations ni taxes, pour y faire fructifier leurs affaires. Galvanisés par la politique expansionniste de Donald Trump, certains magnats de la tech espèrent poser leurs valises au Groenland. 

3 mars 2023. Quelques mois après avoir annoncé sa candidature à la présidentielle, Donald Trump publie sur son réseau social, Social Truth, une vidéo qui condense en trois minutes chrono un semblant de programme aux accents futuristes. Paré de son habituelle cravate rouge, l’ex-magnat de l’immobilier évoque pêle-mêle des voitures volantes, une prime à la naissance pour amorcer un nouveau baby-boom et – surtout – la construction de dix « villes de la liberté » (« freedom cities ») pour « raviver l’imagination américaine ». Sans entrer dans le détail, l’homme politique au teint orangé annonce face caméra que dix projets seront retenus sur la base d’un concours et que les gagnants se verront attribués une parcelle de terre appartenant au gouvernement pour mener à bien leur projet et bâtir « un nouvel avenir américain ». Rien que ça.

Mais deux ans plus tard, les freedom cities semblent être tombées dans les oubliettes. Depuis le début de son second mandat, fin janvier 2025, Donald Trump n’en a pas reparlé une seule fois. Et pourtant, dans les couloirs de la Maison Blanche, les lobbys de la Silicon Valley s’échinent à concrétiser le plan du président américain. 

D’après une enquête de l’agence de presse Reuters, parue le 10 avril dernier, plusieurs grands pontes de la tech californienne ont jeté leur dévolu sur le Groenland pour y construire une « ville de la liberté » à leur image. Autrement dit, une cité technologique où aucune réglementation ne serait imposée aux libertariens et à leurs entreprises. Confirmé par trois sources proches du dossier, ce projet pourrait inclure un pôle d’intelligence artificielle, des véhicules autonomes, des lancements spatiaux, des micro-réacteurs nucléaires et un train à grande vitesse. En bref, un condensé des innovations qui peuplent déjà les laboratoires de la Silicon Valley.

Sous la glace, le jackpot

Cet attrait pour le Groenland est loin d’être anodin. Les magnats de la tech s’alignent en réalité sur la politique expansionniste de Donald Trump qui convoite l’île danoise depuis son premier mandat. S’il a tenté de l’acquérir à plusieurs reprises moyennant finance (allant jusqu’à proposer une aide annuelle de 10 000 dollars à chaque Groenlandais pour les convaincre de rejoindre les Etats-Unis), le président américain n’exclut pas non plus de prendre le territoire par la force. 

Son motif ? Au-delà de sa position stratégique sur la carte du monde, la petite île de 57 000 habitants regorge de terres rares nécessaires à la production de batteries, écrans de téléphones et autres objets technologiques. « Lancez une fléchette sur n’importe quelle partie du littoral [groenlandais] et vous atteindrez sûrement une cible [minérale] de classe mondiale », a déclaré Anthony Marchese, président du Conseil des Ressources Minérales du Texas, lors d’une audition devant la commission sénatoriale du commerce, des sciences et des transports en février dernier.

« Un jour, le Groenland pourrait accueillir des centres de données qui nous donneraient l’avantage dans la course à l’intelligence artificielle »
Maria Cantwell, sénatrice américaine

À en croire un rapport de l’Institut d’étude géologique américain, le Groenland recèlerait la même quantité de terres rares que les États-Unis, pourtant quatre fois plus grands en termes de superficie. Un avantage colossal dont les USA veulent tirer profit pour subvenir à leurs besoins en IA, d’autant plus gargantuesques depuis le lancement du projet Stargate. « Un jour, le Groenland pourrait accueillir des centres de données qui nous donneraient l’avantage dans la course à l’intelligence artificielle », a formulé la sénatrice démocrate Maria Cantwell lors de cette même audition de février, annonçant au passage son intention de déposer un projet de loi autorisant le ministère de l’Énergie à étudier le potentiel hydroélectrique de l’île, recouverte à 80 % de glace.

Les architectes de l’ombre

Alors que Donald Trump s’est montré ouvertement offensif dans sa politique expansionniste, tout comme son second, le vice-président J.D. Vance qui a exhorté les Groenlandais à rompre volontairement leurs liens avec le Danemark qui détient la plus grande île du monde depuis 300 ans, les milliardaires de la Silicon Valley, eux, agissent davantage dans l’ombre pour bâtir leur ville utopique.

Parmi les discrets soutiens du projet « freedom city » au Groenland, on retrouve un libertarien chevronné : Peter Thiel, fondateur de PayPal et proche de Trump, qui prône depuis des années la création de villes privées, exemptées de réglementations et de taxes, et qui investit notamment dans des projets de « seasteading », ces cités flottantes et apatrides. Autre adepte du projet : le capital-risqueur Marc Andreessen, conseiller informel du Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) d’Elon Musk, qui fait partie du consortium d’investisseurs technologiques California Forever dont l’objectif est de construire une techno-cité utopique dans le comté de Solano.

Meanwhile, in other tech-zillionaire-city-planning news: “A Peter Thiel-Linked Startup Is Courting New York Scenesters and Plotting a Libertarian Paradise” “The Praxis Society envisions a Mediterranean enclave—with just the Right kind of people.” www.motherjones.com/politics/202…

[image or embed]

— Jed Hartman (@elysdir.bsky.social) 22 September 2023 at 21:08

Thiel, Andreessen et d’autres poids lourds de la Silicon Valley ont également injecté des sommes faramineuses dans Pronomos Capital, une société de capital-risque qui a lancé une demi-douzaine de projets de villes-startup dans le monde, dont Próspera au Honduras. Sa prochaine conquête ? Le Groenland. Pronomos Capital a arrosé de billets verts l’entreprise de construction Praxis, qui compte y construire une nouvelle ville. Son fondateur, Dryden Brown, s’est rendu sur place en novembre 2024 et en est reparti avec l’idée d’en faire un prototype de colonie martienne.

Nouvelle destinée manifeste

Et ce petit monde de la tech pourrait bientôt bénéficier d’un soutien inestimable au sein de la Maison blanche : le 22 décembre 2024, Donald Trump a annoncé souhaiter que Ken Howery, ancien associé de Peter Thiel et proche d’Elon Musk, dirige l’ambassade des États-Unis au Danemark. Selon une source proche du dossier citée par Reuters, Howery, dont la confirmation par le Congrès est attendue dans les mois à venir, devrait conduire les négociations pour tenter d’acquérir le Groenland.

Proche de l’idéologie libertarienne des entrepreneurs de la Silicon Valley, le potentiel futur ambassadeur pourrait ouvrir la voie à un lobbying plus assumé en faveur des villes privées, parentes des « freedom cities » imaginées par Trump. Interviewé par le média américain Politico, l’investisseur Shervin Pishevar va jusqu’à prédire que l’expansion des frontières américaines vers le Groenland pourrait « marquer l’aube d’une nouvelle destinée manifeste  » – une nouvelle ère de colonisation territoriale, nourrie par la nostalgie de la conquête de l’Ouest qui a façonné l’histoire des États-Unis. 

OSZAR »