« La Terre des vertus », un docu poétique et engagé au cœur des jardins d’Aubervilliers
Dans La Terre des vertus, le documentariste Vincent Lapize filme au plus près les Jardins ouvriers d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, alors qu’ils sont menacés par des travaux liés aux JO 2024. En salles ce mercredi 4 juin.

« Voilà les jardins. Là, on a le parking avec le chantier de la piscine en cours. Et là, c’est la fameuse zone qu’ils veulent détruire. Ça correspond à dix-sept parcelles. » L’explication, aussi limpide qu’enrageante, intervient seulement au bout d’une demi-heure de film. Elle provient d’une voix anonyme, qui se diffuse tandis que des mains s’agitent et pointent les lieux cités sur l’impression papier d’une vue aérienne. « Piscine – Solarium – Jardins ouvriers des vertus – Fort d’Aubervilliers » : les repères géographiques sont indiqués en lettres blanches et délimités en zones rouge et bleu, à la manière d’une carte à gratter. Désincarnée et conquérante : telle est la logique même du projet de chantier foncier « inutile » que les habitants présents tentent ici de déjouer par leurs paroles et leurs pratiques mêmes.
Dimension prospective
Au diapason de cette lutte, La Terre des vertus se veut aussi original sur la forme que sur le fond. Car si le film raconte bien la mobilisation, entre 2020 et 2024, du collectif des Jardins Ouvriers des Vertus d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, face à deux projets consécutifs (d’abord contre un centre aquatique dans le cadre des JO 2024 ; puis contre un projet de gare de la nouvelle ligne 15 du métro dans le cadre du Grand Paris), le réalisateur Vincent Lapize (qui avait notamment signé Le Dernier Continent en 2015) préfère en filmer la dimension la plus impressionniste.

Plus qu’un catalogue d’arguments, le documentaire constitue ainsi une mise en images (et en sons) d’un lieu foisonnant, préservé, duquel on ne sort que rarement et que ses protagonistes racontent de l’intérieur, selon leurs sensibilités respectives. Dès lors, à travers les liens de solidarité qui se nouent dans les voix de Viviane, Dolorès ou Lila, c’est la dimension prospective de la lutte qui apparaît de plus en plus nettement. « C’est ici et maintenant que notre futur se joue », pouvait-on d’ailleurs entendre, à l’époque, dans les rangs des manifestations.
Harmonie fragile
Comme vient le rappeler dans la dernière partie le témoignage de Nazia, représentante de jardins à Tourcoing eux aussi menacés, l’enjeu n’est d’ailleurs pas que local, mais concerne plus largement le type de « projets d’aménagement » promus par la société dans son ensemble. Construire, mais à quelle fin ? Selon quelles conditions ? Et surtout à quel prix ? Dans ce voyage poétique au sein d’un lieu par essence hybride, mi-urbain mi-verdoyant, où le béton côtoie les végétaux, le résultat des courses compte finalement assez peu. L’intérêt du film (qui ne se confond pas avec celui de la lutte) est à chercher ailleurs ; dans la captation d’une harmonie collective fragile, à la fois naissante et intemporelle, intime et politique. Pour reprendre les mots du cinéaste lui-même : « Plutôt le voyage de la pensée résistante et utopiste que l’impasse du résultat compétitif. »