L’administration Trump veut créer un « bureau de la remigration »

Après avoir initié le démantèlement du ministère de l’Éducation, annoncé la suppression de 10 000 postes au sein du ministère de la Santé et restructuré des dizaines d’agences fédérales (à grand coup de licenciements et de coupes budgétaires), l’administration Trump s’attaque désormais à la refonte complète du département d’État, l’équivalent de notre ministère des Affaires étrangères. Un document long de 136 pages, envoyé ce jeudi 29 mai à six commissions du Congrès, offre un aperçu de cette restructuration censée « refléter les priorités essentielles de l’administration ». Au programme : une réduction de 18 % des effectifs du ministère et la création de trois nouveaux bureaux dédiés aux questions migratoires.
« L’un de ces ‘‘bureaux fonctionnels’’ s’appellera le Bureau de la remigration et sera une ‘‘plaque tournante pour les questions d’immigration et le suivi du rapatriement’’ », révèle le site d’information américain CNN qui a pu se procurer le document en question. Placé sous l’autorité du secrétaire adjoint chargé des questions de migration, cet office aura notamment pour mission de « faciliter activement le retour volontaire des migrants dans leur pays d’origine » et de « faire avancer le programme du président en matière d’immigration ».
Programme qui s’est déjà soldé, en l’espace de 100 jours, par la signature de 140 décrets sur l’immigration dont la remise en cause du droit du sol et la déportation de milliers de migrants. D’après le décompte de NBCNews, 11 000 d’entre eux ont été expulsés en février, plus de 12 000 en mars et environ 17 000 en avril. Un triste record qui pourrait bientôt exploser puisque l’administration Trump vient tout juste de se fixer un nouveau quota d’arrestations de 3 000 immigrants par jour – soit trois fois plus qu’en début d’année.
« Nettoyage ethnique »
Ce remaniement, aligné sur les objectifs de Donald Trump qui a promis durant sa campagne présidentielle de lancer « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire [des USA] » acte un changement de cap radical au sein du Bureau de la population, des réfugiés et des migrations. « Auparavant, le service des migrations des réfugiés était en fait un bureau entièrement consacré à l’entrée de personnes aux États-Unis, a déclaré un fonctionnaire du département d’État, sous couvert d’anonymat, dans les colonnes d’Axios. Il avait une fonction de migration – c’est dans le nom – nous inversons simplement le flux des migrants qui ne devraient pas être ici pour qu’ils quittent le pays ».
Un changement de paradigme qui soulève d’ores et déjà une vague d’inquiétude au sein des associations de défense des droits humains. « C’est scandaleux », s’indigne par exemple Wendy Via, présidente-directrice générale de l’organisation étasunienne Global Project Against Hate and Extremism, dans les colonnes du magazine Wired. L’objectif ultime de la « remigration » est purement et simplement le nettoyage ethnique. C’est un jour terrible pour notre pays ».
NEW: European far-right activist Martin Sellner told me last week he was already convinced Trump was enacting his racist remigration policy Now the State Dept wants to create an « Office of Remigration » to oversee his inhumane mass deportation policies 1/7 www.wired.com/story/trump-…
— David Gilbert (@davidgilbert.bsky.social) 30 May 2025 at 01:07
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Originellement utilisé par les démographes anglophones pour désigner le retour de migrants dans leur pays d’origine, le concept de « remigration » est récupéré depuis une dizaine d’années par des mouvements d’extrême droite européens et leurs sympathisants à des fins idéologiques. « Le mot ne peut être compris sans référence à la théorie du ''grand remplacement’', élaborée par l’écrivain Renaud Camus en 2010, explique le politologue spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus dans une interview accordée au quotidien québécois Le Soleil. L’idée de Renaud Camus est que l’immigration ne doit plus être pensée comme un phénomène économique, mais comme un phénomène de substitution progressive de la population « de souche » par des allogènes qui vont finir par devenir majoritaires et par imposer leurs mœurs sur notre sol. (…) Dès lors, les identitaires ne voient qu’une réponse possible : la mise en œuvre d’une inversion des flux migratoires, pour sauver la culture et le mode de vie européens. »
Cette idéologie, portée dès le début des années 2010 par la mouvance d’extrême droite française Les Identitaires, est l’un des fers de lance de l’ancien candidat à l’élection présidentielle française Eric Zemmour, qui voulait céer un « ministère de la Remigration » ; de l’Afd (parti allemand d’extrême droite) qui en a fait le cœur de son programme électoral pour les européennes en 2019 ; ou encore du mouvement identitaire d’Autriche IBÖ qui a organisé près de Milan, le 17 mai dernier, le premier sommet européen sur la remigration auquel étaient conviés 400 militants d’extrême droite venus de toute l’Europe.
1 000 dollars pour quitter les USA
Bien que Donald Trump n’ait pas explicitement utilisé le terme de « remigration » depuis sa campagne électorale, sa politique migratoire « coche de nombreuses cases, affirme Martin Sellner – cofondateur du mouvement identitaire d’Autriche, ancien membre d’un groupe néonazi et fervent apologiste du terme – dans un entretien accordé à Wired. Il y a des différences entre l’Europe et les États-Unis, mais la ligne commune est la même : préserver la continuité culturelle en arrêtant la migration de remplacement. Inverser les flux en assurant la sécurité des frontières, en procédant à des rapatriements massifs et en incitant les gens à partir ».
Parmi les autres bureaux qui devraient également connaître une vague importante de suppression de postes, figurent le Bureau de la démocratie, celui des droits de l’homme et celui du travail
Certaines mesures mises en œuvre par l’administration Trump rejoignent en effet les objectifs prônés par Sellner, comme les incitations économiques à « l’auto-expulsation ». Le président américain a ainsi proposé 1 000 dollars aux sans-papiers qui quitteraient volontairement les États-Unis. Pour le moment, 64 migrants ont accepté cette « offre » avant de partir en direction du Honduras et de la Colombie.
Si Trump évite soigneusement d’employer le mot « remigration » depuis son investiture, nul doute que le président américain partage la même vision que les défenseurs de ce concept au vu du soin qu’il met détricoter les autres antennes de l’administration chargées de protéger les droits des migrants. Parmi les autres bureaux qui devraient également connaître une vague importante de suppression de postes figure le « Bureau de la Démocratie, des Droits de l’Homme et du Travail ». Sa version allégée « se concentrera sur la promotion de la vision affirmative des valeurs américaines et occidentales de l’administration », afin de contrecarrer la supposée « capture idéologique et (le) radicalisme » du Bureau chargé de l’aide aux réfugiés. Reste à savoir si la restructuration du département d’État sera validée par le Congrès. D’après les informations de Wired, une réponse est attendue « avant le 1er juillet ».