Pour la première fois, des humains ont vu « olo », une couleur invisible à l’œil nu

Digne du monde merveilleux du Magicien d’Oz, cette teinte inédite a pu être perçue pour la toute première fois grâce à des lasers stimulant des parties bien précises de la rétine. 

Pour la première fois, des humains ont vu « olo », une couleur invisible à l’œil nu
Extrait du film « The Color out of Space » (2020) © Koch films

Quand une météorite s’écrase dans le jardin de la famille Gardner, un phénomène étrange se produit : le choc libère une « couleur » indescriptible, littéralement hors du spectre visible. Représentée dans The Color out of Space (2020) – inspiré d’une nouvelle de Lovecraft parue en 1927 –, cette teinte inédite incarne la beauté étrange de l’inconnu cosmique. Et titille notre curiosité : à quoi pourrait bien ressembler un coloris échappant à la palette chromatique habituelle ?

Les avancées scientifiques permettent pour la première fois d’y apporter une réponse. Dans un article publié dans la revue Science Advances le 18 avril, des chercheurs étatsuniens expliquent avoir stimulé la rétine de cinq participants à l’aide d’un laser afin de leur permettre de percevoir une couleur au-delà de notre champ visuel (qui comprend un peu moins de dix millions de teintes différentes). En l’occurrence, « un bleu-vert d’une saturation sans précédent », rapportent-ils dans leur étude. 

Cité d’Émeraude

Pour réaliser cette prouesse, les scientifiques ont modulé l’activité des photorécepteurs de l’œil humain (soit les cellules de la rétine spécialisées dans la réception de la lumière). Pour le comprendre, un rapide point de SVT s’impose. La rétine continent trois types de photorécepteurs, ou cônes, détectant différentes longueurs d’onde : les cônes S captent les longueurs d’onde relativement courtes, perçues comme bleues ; les cônes M réagissent aux longueurs d’onde moyennes, perçues comme vertes ; et les cônes L sont activés par les longueurs d’onde longues, perçues comme rouges. Les signaux captés par ces trois cônes sont ensuite combinés par le cerveau pour composer les couleurs que nous percevons. 

Scientists say they have discovered a never-before-seen color called “olo” by using lasers to stimulate the human eye in a way natural light can’t. It’s described as a “jaw-dropping” blue-green hue that can’t be recreated on screens.

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— Pop Base (@popbase.tv) April 22, 2025 at 9:13 AM

Ces trois cônes se chevauchent, si bien que la lumière activant les cônes M active aussi les cônes S ou L. De telle sorte qu’«  il n’existe aucune lumière au monde capable d’activer uniquement les cellules à cônes M, car si elles sont activées, l’un ou les deux autres types sont également activés », souligne Ren Ng, professeur de génie électrique et d’informatique à l’Université de Californie à Berkeley, et co-auteur de cette étude, auprès du média Scientific American

Les chercheurs ont donc mis au point une technique pour contourner cette contrainte, afin d’activer uniquement les cônes M et induire la perception de ce fameux bleu sarcelle, baptisée « olo ». Concrètement, ils ont cartographié une partie de la rétine pour identifier les cônes comme étant de type S, M ou L, avant de braquer un laser uniquement sur les cônes M. Une méthode baptisée Oz en référence au Magicien d’Oz, « où l’on découvre un voyage vers la Cité d’Émeraude, où se trouve le vert le plus éclatant jamais vu », explique Ren Ng. 

Dans l’œil du chien

L’incursion dans le monde merveilleux d’Oz fut brève : dès que les lasers ont été éteints, les participants ont retrouvé une vision normale. «  C’est une étude fascinante, une avancée véritablement révolutionnaire dans la compréhension des mécanismes photorécepteurs sous-jacents à la vision des couleurs. Les exigences techniques nécessaires pour y parvenir sont énormes », a réagi Manuel Spitschan, qui étudie les effets de la lumière sur le comportement humain à l’Institut Max Planck de cybernétique biologique de Tübingen en Allemagne (et qui n’a pas participé à la nouvelle étude). 

Parmi les applications envisageables à court terme : permettre aux personnes daltoniennes de découvrir des couleurs comme le vert et le rouge pour la première fois (de manière temporaire). Ou, plus ludique : voir le monde à travers les yeux de chiens, de souris ou encore de poissons rouges, en modulant nos photorécepteurs de façon à mimer le fonctionnement de leur rétine, imagine le chercheur à l’Institut néerlandais de neurosciences Maarten Kamermans. 

L’équipe de Ren Ng rêve aussi de concevoir des écrans capables de scanner la rétine pour afficher des images ou vidéos dotées de couleurs complètement inédites. « Ce sera extrêmement difficile à réaliser, mais je ne pense pas que ce soit impossible », estime celui qui a peut-être posé la première brique d’une révolution future de l’entertainment.

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